Le travail d’Antoine Carbonne est avant tout une construction de l’esprit. Opérant un phénomène d’aller-retour entre des formes réelles et des éléments fantasmés, il livre au spectateur des images où le quotidien de la société contemporaine est au cœur de sa réflexion.

Antoine Carbonne envisage sa pratique de la peinture telle un moment suspendu. Que ce soit dans l’exécution et sa résultante, le jeune peintre semble appliquer la règle de trois de la tragédie classique (unité de temps, de lieu et d’action). En opérant un jeu habile de contraction temporelle, le peintre souhaite que ses œuvres puissent de se donner comme un tout, sans restriction pour une durée de contemplation infinie. Le spectateur est partie prenante comme dans l’Atelier Rouge, tribute délibéré à Matis, où l’échelle presque humaine de la toile invite à pénétrer l’univers d’Antoine Carbonne

Chaque œuvre emporte le regardeur dans un univers onirique où l’espace-temps n’est pas pour autant tout à fait défini. Antoine Carbonne parle volontiers d’une ardente volonté d’«inactualiser» ses travaux. Par ce néologisme, il entend se dégager à la fois d’une temporalité qu’il juge trop lourde mais aussi proposer une alternative apaisante au flot d’image constant.
C’est en puisant dans un répertoire iconographie issu de la vie quotidienne contemporaine qu’il réussit à aller chercher dans l’inconscient collectif de chacun et ainsi nous appeler à s’arrêter un instant. Dans Carfax, Antoine Carbonne représente dans un décor composite cette abbaye inquiétante renvoyant au conte de Dracula. Se pose encore la question de la présence de ce personnage au premier plan, présenté sous forme d’une ombre. En se plaisant à inscrire dans la composition ce type d’élément, le jeune peintre crée comme un jeu d’énigmes à travers ses œuvres. En invoquant cette forme de surmoi, l’artiste se saisit d’une forme de réel à laquelle s’ajoute une douce rêverie frôlant l’hallucination.

De ces espaces de projections mentales reposant sur le réel, Antoine Carbonne propose une peinture entre la scène de genre et l’épopée mythologique (Mysterious Bath). Les paysages, lieux et personnages se confondent et suivent dans le même temps une trajectoire dictée par leur créateur. Il y a chez lui avant tout geste, cette cosa mentale qui préside.
« Je considère chaque nouveau tableau comme faisait l’objet d’une expérience chimique, comme une réaction de précipitation. Le liquide de ma pensée sur un thème rencontre une image mentale en relation, l’addition de ces deux liquides prend forme sur toile »
Sans pour autant négliger l’acte du peindre, on ressent dans cette pratique une intellectualisation de la pratique. En effet, la pensée de peindre semble avoir autant d’importance que l’acte en lui-même.

Il y a pour lui quelque chose de très instinctif dans ce geste, de son point de vue
« l’activité de peindre est une manière de reprendre contact avec une activité humaine fondamentale, pariétale ».
C’est donc en abordant de manière instinctive le medium qu’Antoine Carbonne en est venu à la gouache. Ayant utilisé cette technique dans un premier temps pour des cartons de fresques, ses dernières productions montrées lors de la dernière édition de Drawing Now l’ont révélé tout aussi à l’aise qu’avec huile.
« J’ai voulu mieux comprendre ce qu’Yves Klein a pu dire en parlant de ‘medium corrompu’. La gouache me satisfait plus que l’huile dans le sens elle est très proche du pigment ».
Travailler la gouache est donc autant un retour à une forme de création enfantine qu’un moyen de se rapprocher de la matière. Dans ces productions, notamment Jardin de mon Oncle, le travail de la couleur en aplat ou transparence semble maintenir la composition dans un environnement chimérique.
En utilisant la couleur dans ses termes, il entend provoquer, voulant saturer là où la publicité et la mode désature. Il s’agit là bien d’une provocation, là encore aller vers le pigment afin que l’image sorte du cadre et questionne le statut de l’objet.

Ces dispositifs plastiques sont pour à Antoine Carbonne autant de manières de conduire la narration et l’infra-discours que convoquent ses œuvres. Il n’existe pas de série à proprement dites, son œuvre est à comprendre et envisager dans son entièreté afin de tenter d’y trouver des indices de ces rébus ou énigmes mais la chute n’a pas encore été écrite pas le narrateur.

Sarah Levy
Point Contemporain 2017


L'enfer de Dante (partie 1)
oil on canvas
240x410cm (unstretched)
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L'enfer de Dante (partie 2)
oil on canvas
210x510cm (unstretched)
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Nancy
oil and spray on canvas
210x150cm
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Vanité (paréidolie)
oil and spraypaint on canvas
200x200cm
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A bad guy's weekend
14 toiles de formats variables (env155x155cm)
Vitrines d'automne 2017
Hermès
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sans-titre,
hermès,
oil on canvas
2017
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sans-titre,
hermès,
oil on canvas
2017
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sans-titre,
hermès,
oil on canvas
2017
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Double Trouble
huile sur toile
200x150cm
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Livio
gouache sur papier
129x129cm
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Carfax
gouache sur papier
129x147cm
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Jardin inquiétant
Gouache sur carton
30x30cm

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vanité
Gouache sur papier
120x120cm
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Smooth arouser, l’œil fontaine.
« Rodolphe ne saisissait pas le sens de tout ceci. Mais une fois qu’il eut bien observé les scènes de ce vert paysage, il pensa que, si ce n’e?tait pas la dame qu’il avait secourue dans les bois que l’auteur de cette tapisserie avait représentée sous les traits de la jeune femme, il ne pouvait s’agir que de sa sœur jumelle. 1 »
Là, dans cette perspective atmosphérique, pliée en trois pans, où des cieux d’aube et d’aurore, sans conteste ovidiens,indistinctement, constituent le dehors, il est question de mise en orbite. Le cadre velouté, l’espace creux, la parade des volutes gazeuses annoncent un commencement théâtral, extatique. Dramaturgie baroque du regard où, ce qui est scruté comme ce qui scrute, offert l’un à l’autre, l’un pour l’autre surtout, rejoue une scène, sans démordre, mème ininterrompu, modèle d’une constellation bien ordonnée qui déroule la mécanique de ses astres en miroir, indéfiniment, sans jamais parvenir à la stase d’une satisfaction ; l’orgasme manqué.
A priori, ici, nulle fontaine ni source d’abondance, plutôt trois stations orbitales. La paupière vibrante, palpitante mais close, qui occulte le visible, et bien qu’empêché de l’instant se produit sur le fond de l’œil une fantaisie érotique, cinémascope fractal ou polyptique frontal de souvenirs et futurs tout à la fois synchronisés, les tableaux. Ailleurs, la paupière étirée, le voyeur s’exerce, du beau milieu de l’iris, insatiable et scrutateur, scalpel intraitable qui détaille sans fin, à la recherche d’une réponse perdue, à terre. Enfin, mouillée, lacrymale, miroir du monde, la paupière
molle, la vision s’exerce comme un reflet, ni seulement narcisse ni complet contentement mais peut être révélation métaphysique. L’œil se dresse et flotte, sans patience, il n’est pas seul. L’autre de la représentation, qui parfait un monde plat, polythéiste et réversible, est là. L’écran transparent et Janus de la caméra agile, double dangereux, rival.
Antoine Carbonne peint un monde de projections douces, phantasmes diffusés et traduits et visions éblouies, spectacle fluide du statut de l’image, de sa pluralité, érotique surement, mais surtout volatile, de celle qui gravite, circule et fuite ; de celle qui s’oublie, numérique et fugitive, mais que la peinture comme la toile retiennent, dominatrices, reprennent, solidifient et hallucinent. Dans les sprays et les fluides picturaux, dans les traits soyeux et les matie?res tactiles, une série de fragments de corps répondent à la lancinante question du désir, spectral. Trois yeux, quatre femmes. Pulsion scopique sur pulsion tactile. La volonté affamée du voir joute contre tout, contre celle d’une volonté débordante du plaisir de faire. L’espace pictural engagé ici est une fontaine de jouvence, l’inlassable lieu d’une attraction, la source d’abondance coquine tirée d’un seul et même trait : le ruisseau pictural et charnel.
La matière plastique, elle, érogène, vaporeuse et languide, s’énonce comme une fragrance et une fresque à la fois, homérique. Image dans et sur l’image, le regard s’abîme, cycliquement.
Dans ces verdures de nuages, la place du spectateur n’est autre que celle d’un satellite qui à distance, sans nulle doute voyeur à son heure, observe la tension
magnétique de l’œil et de l’objet du désir, de la relation complexe qu’entretiennent la forme et la perception, la captation et l’impression. Inlassablement, l’histoire de l’œil se rejoue, au delà de la pulsion, c’est le niveau d’une résolution, une définition, une netteté d’affichage finalement comme une abstraction fabriquée, sans juge ni maître, que le peintre triture, plote dans ces quatre repre?sentations érotisées autant que dans l’œil exorbité, photographe et écran.
Ce fond de cieux d’Eden, pastorale en fresque, comme
tout décor dit le monde, lui, c’est-à-dire qu’il décrit sans ambages mais avec douceur les relations d’entre les choses, et relativise la préciosité cassante des dialectiques trop exclusives : l’œil jouit, tant mieux, il n’est pas le seul.
« Qu’est le ruisseau, sinon le site gracieux où nous avons vu son eau s’enfuir sous l’ombrage des trembles, où nous avons vu se balancer ses herbes serpentines et frémir les joncs de ses îlots ? La berge fleurie où nous aimions à nous étendre au soleil (...) l’angle du rocher d’où la masse unie plonge en cascade et se brise en écume, la source bouillonnante, voilà ce qui dans est notre souvenir le ruisseau presque tout entier. 2 »
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Mathieu Buard, décembre 2017.
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1 William Morris, La Source au bout du monde, Editions aux Forges de Vulcain, 2016, p 81.
2 Elisée Reclus, L’histoire d’un ruisseau, Edition Babel Actes Sud, 1995, p 8.
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Smooth arouser
acrylique sur plâtre et toile
2017
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Sans Titre
Oil an canvas
30x40cm
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Sans Titre
Oil an canvas
40x50cm

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Eye lie, 2017, gouache on molded plaster, Ø35cm
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You,
2017,
gouache on molded plaster, Ø15cm
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Eye lie, 2017, gouache on molded plaster
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Neuvième porte
huile sur toile
100x100cm
2017
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The floor is Lava, 2018

La galerie d’art est finalement le lieu par excellence où l’on peut flâner à sa guise sans billet ni subir l’injonction des catalogues. Avancer gaillardement à la découverte de ce que l’on ne connaît pas ou suivre celle ou celui qui, un jour ou l’autre, vous a réjoui l’œil. Dans l’immense champ des possibles, c’est-à-dire par rapport à l’invraisemblable magma des images qui nous assaille, Antoine Carbonne résiste à sa manière en prenant des voies de traverse.
Disons plutôt qu’entre la fascination des méga-installations et l’ivresse du multimédia, il s’en
tient (pour le moment) à la peinture certes plus discrète mais non moins éloquente. Il ne s’agit pas seulement d’une question de moyen à laquelle tout artiste frais émoulu des Beaux-Arts s’affronte mais aussi de choix. Et dans son cas, diplôme à peine
en poche (2011), il emprunte déjà ce chemin avec une préférence avouée pour la capacité narrative
de la peinture. La vertu du pragmatisme aidant, on rencontre tôt ou tard des problèmes plastiques que l’on résout au fur et à mesure, manière d’apaiser, en quelque sorte, la puissance dévastatrice de l’autorité théorique.
La fermentation des histoires
Donc ici, le récit règne mais il appartient au regardeur d’en imaginer la trame, d’autant que
les toiles ne se contentent pas d’en dévider benoîtement le fil. Pour preuve, l’intitulé de l’exposition « the floor is lava« , clin d’œil à la reprise d’un jeu d’enfant qui fait rage sur les réseaux sociaux, et qui impose à chacun des joueurs, dès la consigne lancée, la dite transformation du sol en lave, de se percher sur une hauteur quelconque pour sauver sa peau.

Naturellement dans cette version des chaises musicales, il y a toujours une assise manquante. Cette absence de position acquise signe des œuvres travaillées par l’instabilité. Ajoutons même qu’à force de se défier du sol, on reste finalement suspendu entre terre et ciel, voilà
ce qui arrive au Paradis des joueurs (2018), où chaque footballeur apparaît suspendu dans
sa bulle. Certains sont a? terre, d’autres plus solitaires cultivent peut-être le hors-jeu sans que l’on en comprenne les règles. Les icônes du Mondial sont dans l’éther. L’Elysée les abrite, en son jardin rempli d’arbres, sous le couvert d’un temple grec. Loin des acclamations de la victoire, le séjour céleste les divinise comme si chaque héros trouvait, là-haut, la contrepartie glorieuse d’un oubli terrestre autrement plus difficile à subir sinon à gérer.
La figuration joyeuse
Autrement dit, ce tableau, comme les autres d’ailleurs, examine sans effets de manche la relation que nous avons à notre propre temps. Car sous l’aspect très ludique d’une ligne
claire, un autre monde se profile plus fragile, plus précaire. Tel se montre l’éblouissant Arbre de la connaissance (2018), devant lequel, la silhouette, qui le contemple, disparaît dans le halo indécis de la lumière. La figuration joyeuse presque « pop » se distancie de ce qu’elle regarde, en ce sens où, elle ne s’accroche pas à la transposition réaliste de qui est vu. Au contraire, elle propose, divague, et très tranquillement sous prétexte d’actualité aborde en sous-main son intemporalité. Elle s’éloigne et tournant autour de son sujet, se permet de fixer d’autres horizons.

La jeune fille de Junk Love (2017), s’abîme dans la chaleur irradiante de la couleur. Elle se
perd dans ses rêves et ses rêves la perdent.
Le flottement l’emporte sur la certitude. Ainsi se présentent les personnages rampants de Party (2018), qui, au lieu de s’adonner à la musique, ont plutôt l’air de vouloir sortir d’un labyrinthe. Si la formule « The floor is lava« , nous engage aussi à trouver une place, celle-ci peut faire défaut, cela arrive et c’est bien toute la force d’une proposition qui accueillant la clarté et les vacillements de l’époque, sollicite l’inconnu. Une inactualité allègre, en somme, qui la rend particulièrement apte à saisir les replis du présent.
Antoine Carbonne, « The floor is lava » Galerie Virginie Louvet
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De Bertrand Raison.
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Junk love 3, The floor is Lava gouache sur papier 114x81cm
2017
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Junk love
gouache sur papier 100x70cm
2017
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